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Culture antiquaire et invention de la modernité:
Mythes, mémoire culturelle et rhétorique des formes
dans l'art hellénistique et romain

 

Introduction De la mémoire artistique à la réflexion stylistique Mythes, poèmes, images Membres du projet CAIM

 

Introduction

Inscrit dans la réflexion contemporaine sur le concept de modernité et ses formes de dépassement dans la postmodernité, le projet CAIM prend appui sur la convergence exceptionnelle de découvertes papyrologiques et archéologiques de publication récente qui bouleversent les certitudes acquises sur les premières formes d'histoire de l'art élaborées dans la phase de transition entre l'époque classique et la période hellénistique. Jusqu'à présent, les figures de certains pionniers de l'histoire de l'art, en particulier celle du sculpteur Xénocrate d'Athènes magistralement reconstruite par B. Schweitzer avaient été identifiées à partir des sources gréco-latines de la fin de la République et du Haut-Empire, en premier lieu l'encyclopédie plinienne. C'est à Pline l'Ancien (Histoire naturelle XXXIV, 52) que l'on doit la notion de «Renaissance de l'art» (ars reuixit), fondatrice du discours classique sur l'art à l'époque moderne. Ce modèle passéiste, légué par Rome, situait le sommet insurpassé de l'art de peindre et de sculpter entre l'époque de Périclès et celle d'Alexandre le Grand.
Or, des textes poétiques récemment découverts, les nouvelles épigrammes de Posidippe de Pella (P. Mil. Vogl. VIII, 309), ont montré que les philosophes et les artistes de l'époque hellénistique avaient élaboré une notion d'«art nouveau» opposé à un «art ancien». Parallèlement, la mise au jour d'importants ensembles peints, notamment en Macédoine, a permis de tester sur des monuments contemporains la pertinence des critères dégagés par la critique philologique. La période hellénistique a donc été marquée non seulement par l'élaboration d'une théorie du classicisme, mais aussi par l'invention d'une modernité revendiquée comme telle. Intimement liée à la constitution d'une culture antiquaire, cette volonté d'inventer et de définir une modernité eut des conséquences multiples sur la création artistique, sur ses acteurs, sur ses objets et sur ses contextes. Le début de l'époque hellénistique est notamment caractérisé par l'émergence de figures d'artistes-philosophes ou d'historiens de l'art qui contribuent à théoriser les rapports que les créations contemporaines entretiennent avec les œuvres du passé.
Une nouvelle sociologie de l'art se dessine aussi dans les différentes cours hellénistiques autour de la figure de monarques désireux de s'associer les services des meilleurs peintres, sculpteurs, poètes et savants: si l'on connaît aujourd'hui le rôle que certains acteurs de la création - artistes ou commanditaires haut placés - ont pu jouer, à Rome, dans une politique culturelle voulue par le pouvoir, on connaît moins la manière dont la création artistique et littéraire a pu être organisée et coordonnée dans les cours hellénistiques pour servir un discours dynastique. Pour mieux cerner la manière dont s'articulent la création artistique et une rhétorique de persuasion orchestrée par le prince, nous nous proposons de nous intéresser à différentes catégories d'objets: les poèmes, les peintures, les sculptures, les camées et les pierres gravées constituent autant de supports susceptibles de véhiculer un discours identitaire, une mémoire culturelle ou une justification du pouvoir à travers des figures mythiques. Le contexte historique qui accompagne cette émergence d'un art pensé comme «nouveau» est bien sûr celui d'un changement politique majeur lié à la conquête d'Alexandre et à la naissance des différentes monarchies hellénistiques: la période hellénistique nous offre ainsi un observatoire privilégié pour comprendre le rôle de la création artistique dans la construction de la mémoire auprès de sociétés qui se pensent à un tournant de leur histoire.

Visions de l'archaïsme à
l'époque hellénistique:
table ronde d'ouverture du projet CAIM
Visions de l'archaïsme à l'époque hellénistique:
table ronde d'ouverture du projet CAIM
 

Axe 1: De la mémoire artistique à la réflexion stylistique

L'une des formes que prend la théorisation des rapports entre création artistique et patrimoine culturel n'est autre que la réflexion sur le style. Or, le début de l'époque hellénistique est marqué par une activité que l'on devine intense tant sur le plan de la critique littéraire que sur celui de la critique artistique. Ces deux domaines en plein essor se sont, semble-t-il, appuyés sur l'utilisation d'une série de notions destinées à décrire les qualités stylistiques des œuvres rhétoriques, poétiques, statuaires ou picturales. Notre projet se propose ainsi d'étudier l'évolution et les métamorphoses d'une théorie des styles appliquée aux arts et à leur histoire, entre Antiquité et période moderne.
Pour la période ancienne, de récentes découvertes papyrologiques ont mis en évidence l'intérêt que les théoriciens et les poètes-philologues de la cour d'Alexandrie avaient témoigné, au IIIe siècle avant J.-C., pour le problème de l'évolution du style, tant dans le domaine poético-rhétorique que dans le domaine artistique. La représentation que les penseurs et les poètes alexandrins ont de l'histoire culturelle et artistique se structure notamment autour d'une opposition entre style semnos (imposant, auguste) et style leptos (fin, subtil), entre megethos (grandeur) et akribeia (exactitude), et parallèlement entre art ancien et art nouveau. Certes, l'idée selon laquelle la poésie ou l'art anciens seraient empreints de semnotès (caractère auguste), tandis que la poésie ou l'art nouveau serait empreints de leptotès (finesse, subtilité) n'est pas véritablement nouvelle. Elle reprend une distinction exploitée, au sujet de l'histoire de la tragédie, par Aristophane qui oppose la tragédie d'Eschyle à celle d'Euripide. Cette opposition est encore promise à une importante postérité et, ce, tant dans la rhétorique et la poétique latines que dans les réflexions stylistiques qui se nouèrent à l'époque moderne.
Pour la période moderne, l'application de la théorie rhétorique des styles aux œuvres d'art ne va pas de soi. Elle apparaît dans quelques sources, au demeurant assez rares, ainsi chez l'Arétin ou Agucchi, et pour l'essentiel sous la plume de lettrés, par exemple dans l'opposition entre le «style fleuri» de Guido Reni et le «style sévère» de Guerchin. C'est en fait dans l'historiographie que l'usage du couple atticisme/asianisme a été étendu, afin de désigner des qualités formelles pensées comme antagonistes.
à travers la comparaison entre l'époque hellénistique et romaine et l'époque moderne, nous nous attacherons à identifier les différences qui séparent chacune des reformulations de la théorie des deux styles et les caractéristiques qui servent, à chaque fois, à définir une forme d'identité artistique nouvelle, que celle-ci se pense dans la rupture avec le passé ou qu'elle soit au contraire comprise dans les liens dialectiques complexes qu'elle entretient avec ce passé. Ce projet comparatiste a débouché sur l'organisation, par M. Cojannot-Le Blanc, C. Pouzadoux et É. Prioux, du colloque international «L'Héroïque et le Champêtre» qui s'est tenu en mars 2010 à l'INHA.
Cherchant à éclairer un aspect mal connu et néanmoins essentiel de la réflexion sur la création et sur le patrimoine culturel au début de l'époque hellénistique, plusieurs membres du projet s'attacheront à préciser, en particulier grâce à â un colloque organisé par M. Mahé et V. Naas en novembre 2010, le rôle tenu par le tyran et historien Douris de Samos dans la genèse de l'histoire de l'art, dans une réflexion sur la mimesis et dans le tour que prendront les débats esthétiques au début du IIIe siècle avant J.-C.

L'Héroïque et le Champêtre Douris de Samos
L'Héroïque et le Champêtre:
la théorie rhétorique des styles appliquée aux arts et à leur histoire
entre modèle analytique et schème explicatif
(colloque international 17-20 mars 2010)
Douris de Samos
(journées d'étude 12-13 novembre 2010)
 

Axe 2: Mythes, poèmes, images

La réécriture du passé et l'invention de la modernité passent par un travail sur la matière mythologique qui fait l'objet de nombreuses réélaborations auprès des auteurs et des artistes hellénistiques et post-hellénistiques. Le rôle du mythe dans la réécriture du passé apparaît donc comme décisif.
L'une des composantes majeures du projet CAIM consiste dans la mise en place d'un site permettant des interrogations croisées de deux bases, la base d'iconographie LIMCicon et une base de textes et fragments poétiques de l'époque hellénistique regroupant et décrivant, au moyen d'un nombre donné de critères, le plus grand nombre possible de textes présentant un contenu mythologique. Notre projet consiste ainsi à faciliter les rapprochements pertinents entre la documentation figurée et les sources littéraires et à mettre à disposition de la communauté scientifique des outils qui lui font cruellement défaut, beaucoup de textes hellénistiques n'ayant pas été exploités du point du vue mythographique en raison de leur caractère fragmentaire ou obscur. Cette double entreprise est placée sous la responsabilité de C. Cusset et de P. Linant de Bellefonds.
Cette recherche a bien sûr pour but d'inventorier et de commenter les versions rares et déviantes des mythes - versions dont les auteurs et artistes hellénistiques sont souvent friands. Mais nous souhaitons aussi dépasser, dans nos travaux, la notion de version locale trop souvent invoquée pour rendre compte de ces mythes rares. Il s'agit en effet d'analyser comment ces mythes dits «locaux» sont intégrés, à l'époque hellénistique, dans une culture érudite partagée dans les cercles des différentes cours hellénistiques.
Il s'agit évidemment d'une entreprise de longue haleine qui repose à la fois sur le travail de dépouillement effectué par une équipe littéraire travaillant en lien avec des historiens de l'art, un travail de prospective puis de développement permettant de définir les outils informatiques qui seraient les plus pertinents, et un travail de réflexion sur les textes et les images visant à compléter l'actuelle base LIMCicon avec des documents présentant un intérêt majeur pour la comparaison avec les textes hellénistiques et à enrichir le commentaire des textes poétiques par des confrontations avec les documents figurés.
Nous nous sommes engagés, pour ces trois aspects, dans une phase de prospective et de travail préparatoire, qui est notamment conduite par A.-V. Szabados : pour ce qui concerne le dépouillement des sources littéraires, une répartition de l'ensemble des textes poétiques de l'époque hellénistique a été faite entre les différents membres de l'équipe littéraire (C. Cusset, I. David, É. Prioux, S. Clément-Tarantino, N. Le Meur, F. Levin, M. Rémond, J. Trinquier, rejoints par plusieurs collaborateurs internationaux, en particulier B. Acosta-Hughes, A. Kolde, E. Magnelli). La base de données textuelles, intitulée «CALLYTHEA», qui unit commentaires sur les textes et commentaires iconographiques proposant des rapprochements entre les textes hellénistiques et l'iconographie, est en cours de constitution, grâce à un partenariat avec le Centre de ressources numériques TELMA (Traitement électronique des manuscrits et des archives) de l'IRHT. Les formulaires de saisie en ligne, constitués par A. Louailèche en coordination avec R. Walter, sont d'ores et déjà opérationnels et il est prévu que la base Callythéa soit mise en ligne et rendu consultable par le public dans le courant de l'année 2010.
Cette base présente des unités de textes correspondant à des extraits de poèmes hellénistiques. à partir d'un travail de dépouillement mené par l'équipe littéraire, des unités de textes correspondant à des épisodes mythologiques sont isolées puis indexées au moyen de descripteurs. Pour chaque unité de texte évoquant un épisode mythologique, nous recourons aux descripteurs suivants : personnages mythologiques concernés et cités, thème, auteur, datation du texte, référence de la source antique, texte, traduction (dans la mesure du possible, il s'agit de traductions nouvelles proposées par les membres de l'équipe), paraphrase/commentaire du texte, toponymes, ethniques, bibliographie. Les fiches sont ensuite retravaillées et complétées par l'équipe iconographique (N. Icard, C. Ioannitis, P. Linant de Bellefonds, C. Lochin, A.-V. Szabados) qui propose des rapprochements avec la documentation figurée.
L'un des auteurs auxquels nous avons consacré nos premiers efforts n'est autre que Lycophron, figure majeure de la poésie hellénistique et auteur de l'Alexandra, poème oraculaire relatant les prophéties énoncées par Cassandre alors que son frère Pâris s'apprête à partir enlever Hélène. Ce poème constitue en effet une gigantesque fresque mythologique à laquelle les participants du présent axe de recherche ont déjà consacré une partie de leurs efforts. Dans la prophétie de Cassandre, les récits mythologiques, dont la richesse, la variété et l'originalité sont tout à fait remarquables, se succèdent sous la forme de courtes unités de quelques vers, généralement peu exploitées par les historiens de l'art en raison du caractère crypté de ce poème. Une première série de sondages soumettant l'œuvre de Lycophron à des comparaisons avec l'iconographie a été présentée en décembre 2009 lors de la table ronde «Lycophron et les images» organisée par C. Pouzadoux et É. Prioux.
Un autre auteur qui retient tout particulièrement notre attention est Euphorion dont l'œuvre nous est parvenue sous la forme de fragments qui posent de nombreux problèmes d'édition et d'interprétation. Une traduction française, accompagnée d'une annotation abondante, est actuellement en cours de publication sous la direction de C. Cusset. Plusieurs membres de l'ANR CAIM sont étroitement impliqués dans ce projet qui servira de point d'appui à court terme pour des confrontations avec l'iconographie.
Programmé pour juin 2010, le colloque international «Mythe et Pouvoir», organisé à l'ENS Lyon, s'attachera à la dimension idéologique de la matière mythologique dans la création littéraire et artistique au début de l'époque hellénistique. Pour les nouvelles monarchies issues du royaume d'Alexandre, l'ensemble des mythes devient en effet un creuset où vont se puiser les justifications d'une nouvelle conception et d'un nouveau mode d'exercice du pouvoir. Les images et les récits mythologiques empruntés à la tradition deviennent les outils de la construction de nouveaux panthéons dynastiques et servent à affirmer l'étendue des pouvoirs monarchiques.

Lycophron et les images Mythe et Pouvoir
Lycophron et les images Mythe et Pouvoir
 

Les membres de notre projet (pôle de l'UMR 7041 ArScAn)

 

Les membres de notre projet (pôle de l'ENS Lyon)

 

Réseau international

 
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