Visions de l'archaïsme Lycophron et les images Mythe et Pouvoir Douris de Samos Retour à l'accueil
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Dépliant et affiche Table ronde d'ouverture Résumé des communications du colloque Conclusions

 

L'Héroïque et le Champêtre

(colloque international: Paris, INHA, 17-20 mars 2010; responsables scientifiques: M. Cojannot-Le Blanc, C. Pouzadoux et É. Prioux)

Programme (dépliant et affiche)

Dépliant et programme Affiche
Dépliant et programme Affiche

 

Table ronde d'ouverture

La table ronde «La théorie des trois styles et la classification générique: réception de Virgile et d'Horace à l'époque classique» s'est tenue le 17 mars 2010 en ouverture du colloque L'Héroïque et le Champêtre, sous la responsabilité scientifique de Bénédicte Delignon-Delaunay et de Séverine Clément-Tarantino. Cette demi-journée, modérée par A. Deremetz, a été consacrée, dans sa première partie, à la réception de Virgile (interventions de S. Clément-Tarantino, C. Noille-Clauzade, J.-C. Jolivet) et, dans sa deuxième partie, à la réception d'Horace (interventions de S. Macé, B. Delignon, E. Bury).

Virgile et Horace, plus que tout autre à l'époque augustéenne, interrogent la théorie des trois styles et ses incidences sur la classification générique. C'est pourquoi il nous a paru intéressant, dans le cadre du colloque L'Héroïque et le Champêtre, de réunir des spécialistes de poésie latine et des spécialistes de poésie classique autour d'une question centrale : dans quelle mesure la poésie classique s'approprie-t-elle l'approche virgilienne et / ou horatienne de la théorie des trois styles et de la classification générique qui lui est associée? Évaluer une telle réception, c'est commencer à mesurer la place qu'occupait la théorie des trois styles à l'époque classique, arts poétiques et arts figurés ne pouvant être totalement dissociés. C'est pourquoi cette table ronde, conçue à la fois comme une sorte de séance de travaux pratiques autour de textes poétiques et comme une introduction aux problématiques qui animeront les débats du colloque, trouve naturellement sa place en ouverture.

La tradition médiévale a fait de l'œuvre virgilienne le paradigme de l'articulation des styles et des genres. C'est la fameuse rota Vergilii, dans laquelle les Bucoliques représentent le genus tenue, les Géorgiques le genus mediocre, et l'Éneide le genus grande. Le carmen des Bucoliques n'est pourtant pas le sermo d'Horace et certaines églogues empruntent davantage au genus grande qu'au genus tenue. À l'inverse, il ne semble pas que l'Énéide rompe totalement avec ce dernier et avec la tradition de la poésie alexandrine à laquelle il peut être associé. L'épopée s'enrichit d'ailleurs de liens étroits avec des genres mineurs comme l'élégie. En ce sens, l'œuvre de Virgile pose très bien la question de la définition des frontières entre les styles et les genres, et témoigne parfaitement du goût de l'époque augustéenne pour le mélange, voire pour l'hybride.
L'œuvre d'Horace pose cette question à sa manière, c'est-à-dire davantage en synchronie qu'en diachronie. Ce n'est pas en effet par le passage des Satires aux Odes qu'Horace interroge l'articulation des styles et des genres, mais c'est au sein même de son recueil lyrique. Parce qu'il superpose dans les Odes l'héritage du lyrisme choral et du lyrisme personnel, l'héritage de la poésie grecque archaïque et de la poésie alexandrine, Horace ouvre de nouvelles perspectives sur le plan stylistique et sur le plan générique, et renouvelle la question du mélange des genres et des styles. [BD]

La roue de Virgile
Roue de Virgile

 

Résumés des interventions du colloque (18-20 mars)

F. Klein E. Polito Y. Pauwels M. Cojannot-Le Blanc J. Tanner M. R. Falivene C. M. Calcante C. Mazel
A. Mérot T. Psychoyou C. Van Eck C. Pouzadoux R. Robert B. Acosta-Hughes J. Blanc A. Magnien
G. Zanker K. Gutzwiller É. Prioux P. Linant de Bellefonds D. Gallo N. Bécel P. Griener

Florence KLEIN

Les catégories stylistiques des poètes augustéens : entre théorie esthétique et caractérisation générique ?

Après le positionnement poétique des néotéroi et la querelle rhétorique sur l'atticisme, les poètes augustéens empruntent aux débats littéraires et esthétiques de l'époque hellénistique les catégories stylistiques de leptotès et de semnotès: ce faisant, ils les infléchissent par les traductions qu'ils adoptent et, surtout, ils les réorganisent et les redisposent en systèmes nouveaux, variables selon les contextes dans lesquels sont employées et revendiquées ces catégories stylistiques. Ainsi, loin de pouvoir être réduit à un bloc uniforme et figé, le paysage littéraire de l'époque augustéenne est fait de ces configurations changeantes, qui se répondent les unes aux autres selon des jeux de positionnements respectifs. Il s'agira donc, tout d'abord, de dresser un panorama de ces systèmes opposant les diverses catégories stylistiques, tels qu'ils sont mis en avant dans les textes de Virgile, Properce, Horace et Ovide. Mais cette présentation d'ensemble sera précisée et enrichie par deux autres interrogations. D'une part, dans la perspective propre à ce colloque, nous observerons la manière dont ces catégories stylistiques mises en avant par les poètes augustéens sont également utilisées (à la fois par eux-mêmes et par d'autres auteurs) pour caractériser les œuvres d'art. D'autre part, ce rapprochement des styles poétiques et artistiques devrait nous permettre, en outre, de proposer une réponse à la question qui sous-tendra notre intervention: dans quelle mesure peut-on établir un lien probant entre, d'un côté, le choix de telle ou telle traduction latine de la leptotès par un poète augustéen désireux de se positionner face à l'équivalent romain de la semnotès qu'est la grauitas, et, de l'autre, les enjeux précis de tels positionnements, qui peuvent varier, à chaque fois, entre préoccupations génériques et considérations purement esthétiques? [FK]

Eugenio POLITO

Eclettismo ellenistico e ordine classico: la realtà delle forme e il dibattito ideologico fra tarda repubblica ed età augustea

Si l'on met en parallèle le contraste constaté dans les arts figurés, à la fin de la République et au début de l'Empire, entre style hellénistique et le style classique dans l'art avec l'antagonisme entre l'asianisme et atticisme, qui est, pour sa part, de nature rhétorico-littéraire, on est amené à souligner l'existence d'une bataille des styles pourvue d'une forte connotation idéologique; cette querelle semble avoir profondément influencé le développement ultérieur de l'imaginaire gréco-romain et, partant, l'héritage artistique du monde classique. Elle constitue en outre la base du débat moderne sur les styles. Pour ces deux raisons, l'étude de cette querelle doit donc être reconnue comme un outil indispensable de l'interprétation. La présente communication propose un aperçu de la situation à cette période cruciale, où la réflexion sur la rhétorique, la littérature et l'art a joué un rôle significatif dans le processus complexe de transformation politique et culturelle. Nous essayerons d'abord de résumer brièvement les étapes qui ont conduit à la formation du classicisme augustéen à partir de la situation de la fin de la République. Ensuite, nous suivrons certaines pistes inspirées par le débat en cours dans la littérature contemporaine de ces œuvres figurées: citons par exemple l'affirmation de l'atticisme comme fait politique et le rôle joué par les différents acteurs en ce qui concerne la préférence finalement accordée au style classique. [EP]

Yves PAUWELS

Fort ou faible, riche ou pauvre, masculin ou féminin : des ordres d'architecture comme catégories stylistiques à la Renaissance

Pour classer l'extrême diversité du legs antique et en ordonner l'apparente confusion, les théoriciens de la Renaissance ont utilisé les « genres » vitruviens (dorique, ionique, corinthien) non seulement comme paradigmes formels mais aussi comme catégories stylistiques. Les références induites par les mythes étiologiques et les jeux d'analogies formelles ont fait des genera vitruviens l'équivalent architectural des trois styles de la poésie : humble, médian, élevé. L'exposé tentera d'éclaircir les données de cette similitude théorique, et, par quelques exemples, d'en interroger la pertinence dans la pratique. [YP]

Marianne COJANNOT-LE BLANC

Les modalités du discours stylistique chez Roger de Piles

Parmi les théoriciens de l'art français de la fin du XVIIe siècle, Roger de Piles (1635-1709) occupe une place de premier plan. Son œuvre a fait l'objet d'études déjà nombreuses, qui ont principalement analysé les débats sur la primauté du coloris et la défense de Rubens, tout en soulignant la dette du théoricien envers les modèles de la poétique et de la rhétorique antiques.
Les écrits de Roger de Piles s'étendent sur plusieurs décennies, témoignant d'un progrès considérable de sa pensée sur l'art et de la systématisation de celle-ci, dont le Cours de peinture par principes, publié en 1708, constitue l'aboutissement. S'employant à discriminer la production picturale du siècle précédent, Roger de Piles y pose, fondamentalement, non plus la question des parties de la peinture (composition, dessin, coloris), comme on le faisait à l'Académie royale de peinture et de sculpture depuis 1667, mais celle de son essence : il affirme avec force et simplicité l'imitation comme fin de l'art pictural. Au sein de ce renversement dans l'ordre de la pensée, le paysage est posé comme l'essence même de la peinture, parallèlement à une analyse inédite des paysages en termes stylistiques.
L'usage nouveau que Roger de Piles fait de la notion de « style » pour rendre compte du genre du paysage, la distinction qu'il propose entre les paysages de « style héroïque » et ceux de « style champêtre » sont célèbres. Ces pages du Cours qui semblent organiser en théorie les mutations importantes de l'art du paysage au xviie siècle, ont été interprétées à la fois comme une éventuelle prise de position critique à l'égard du « paysage historié », tel que le pratiquèrent Carrache, Dominiquin ou Poussin, et comme une tentative pour infléchir la hiérarchie traditionnelle entre les genres picturaux, voire les diverses écoles de peinture.
Le lien étroit entre l'irruption d'une théorie du paysage d'une réelle ampleur (une soixantaine de pages) et l'apparition de la notion de style mérite toutefois d'être approfondi, en reprenant pas à pas les progrès de l'approche critique du paysage par Roger de Piles, entre 1677 et 1708. Il s'agira ici de saisir l'évolution de ses idées et de leurs formulations, entre les Conversations sur la connoissance de la peinture de 1677 et le Cours de 1708, en passant par l'Abrégé de la vie des peintres de 1699, qui sont les trois jalons principaux où Roger de Piles élabore son discours sur le paysage. On s'efforcera d'éclairer la genèse, la fonction et le fonctionnement du couple formé par les styles héroïque et champêtre. [MCLB]

Jeremy TANNER

Style and the Development of Art Theory in Early Greece and China

Although all art traditions entail practices of criticism, early imperial China and classical Greece are historically unusual in their early development of sophisticated, theoretically self-conscious written discourses of art criticism. Key questions which this paper will address include: who were the primary actors in the development of art critical discourse in early Greece and China? To what extent did their distinctive positions in relation to the developing art institutions of their societies and the larger social structure within which such institutions were situated shape the character of their critical discourse? What were the contexts in which art critical discourse was formulated, and to what extent did the specific character of such contexts shape the nature of art criticism - in particular the stylistic categories formulated - and its relationship to other theoretical discourses, in particular rhetoric in ancient Greece and calligraphy theory in early China? One focus of the discussion will be on ways in which these apparently discrepant cultural traditions both manifest a particular concern with the representation of character in pictorial art as a central issue of early art criticism.

Maria Rosaria FALIVENE

What is an εἰδύλλιον? Mimesis according to Theocritus (and his ancient interpreters)

Mimesis may be defined as the re-presentation, or re-production of whatever object in a different medium, i.e. in a medium other than the material of which that object is made of. There thus will be, first, an original object and, secondly, a new object re-presenting the original by one or other of the available means, all of them appealing to the human senses or (in one word) aisthesis, thereby providing an aesthetic experience. Before photography, these means are those of the traditional arts. Thus, painting appeals to eyesight and so does sculpture. Mousiké on the other hand, as the Greeks understood it, would affect eyesight and hearing at the same time, being a complex aesthetic experience which combines (observed) body-movement with (heard) word and music. Theocritus aims at re-presenting the whole range of these aesthetic experiences (with an emphasis on music) in their making, and as they happen within the way of life each of them specifically relates to. I shall try and argue that this is what lay behind the θεωρία τοῦ εἴδους which the Prolegomena to the Theocritean scholia refer to when proffering an explanation for the term εἰδύλλιον. [MRF]

Cesare Marco CALCANTE

Rhetoric and the Visual Arts in the Stylistic Theory of Dionysus of Halicarnassus

The transfer to the visual arts of a metalanguage originally conceived for the description of literary language can be traced back to classical rhetoric. Rhetoricians avail themselves of analogies with the visual arts in order to illustrate stylistic strategies of considerable complexity by exploiting the iconicity shared by literature and the figurative arts. Particularly productive proves the analysis of the rhetorical works of Dionysius of Halicarnassus, who constructs the system of stylistics (virtutes/genera dicendi; compositio verborum) by means of frequent references to the visual arts. [CMC]

Claire MAZEL

Les quatre manières de sculpter dans la conférence académique de Gaspard Marsy (7 décembre 1669)

Je propose de prendre pour point de départ la conférence de Gaspard Marsy sur « Le Torse de L'Hercule Hérodote », prononcée à l'Académie royale de peinture et de sculpture le 7 décembre 1669. D'apparence anodine, cette conférence propose un modèle de pensée abouti sur les différentes manières de sculpter.
De ses maîtres (Gérard Van Opstal, François Anguier et Jacques Sarazin), le sculpteur Gaspard Marsy dit avoir reçu une classification de quatre types de sculpture. Il existe quatre manières de sculpter, associées à quatre villes grecques, à des statues antiques et à des sculpteurs anciens et modernes : la première, dite d'Athènes, est rude (l'Hercule Farnèse, Michel-Ange) ; la deuxième, dite de Sicyone, conjugue la correction du dessin et la douceur des muscles et contours (Torse du Belvédère, Vénus Richelieu) ; la troisième, dite de Rhodes, est tendre et gracieuse (Laocoon, François Duquesnoy) ; la quatrième, dite de Corinthe, est menue et mesquine (Pierre Franqueville, Giambologna, Germain Pilon). Gaspard Marsy place la manière de Sicyone au sommet : « Cette manière de Sycionne est préférable à toutes les autres, par une beauté et une grâce particulière représentant une chair formée d'un athlète ou lutteur ayant peu de muscles, mais grands, coulants, naturels et faciles comme vous pouvez voir dans les deux sujets et qui se remarquent dans les ouvrages de Phidias et de Praxitèle qui étaient disciples d'Apelle, le vrai génie du dessin ». Il faut interroger d'abord les sources du discours de Gaspard Marsy, qui peut difficilement être attribué à lui seul. Sources anciennes dans lesquelles on retrouve la classification de la sculpture grecque en écoles, mais non selon un modèle aussi clair. Sources modernes et notamment les auteurs contemporains du sculpteur, qui permettent de réfléchir à la construction collective d'une pensée sur la représentation du corps humain. Au-delà de cette question de la fabrication du discours, se pose le problème de l'élaboration, par le biais de la réflexion sur les styles, d'une hiérarchie et d'une géographie artistiques anciennes aussi bien que modernes, ainsi que d'une représentation du temps historique qui paraît, du moins pour la période ancienne, articuler des phases de progrès, de grandeur et de déclin. Le discours sur les manières a aussi pour visée de fonder une poétique de l'œuvre. Si la classification de l'art grec en écoles se retrouve ensuite chez Winckelmann ou Hagedorn, on ne peut pas dire qu'elle ait eu reçu un écho favorable dans le milieu académique lui-même. Au contraire, les conférences de Charles Le Brun du 4 janvier 1670 et de Philippe de Champaigne du 11 juin 1672 (« Contre les copistes de manière ») montrent une orientation différente qui met l'accent sur l'étude du modèle vivant, la diversité et l'égale valeur des manières, la nécessité d'inventer une manière propre au moyen d'un génie libre. Penser la sculpture en termes de manières et faire le choix éclairé de l'une de ces manières, c'est préférer dans la création la forme achevée à la recherche d'une nouvelle forme, l'excellence à l'invention. Cette tension est déjà présente à l'origine du mot style au XIVe siècle qui signale soit l'écriture propre d'un individu, soit celle du groupe qui la partage. Le style est-il le propre d'un homme ou la marque de reconnaissance d'une collectivité ? On trouve ici un parallèle avec la rhétorique telle que la conçoit Cicéron, dans le Brutus ou le De oratore : l'histoire de la rhétorique est nourrie des découvertes des différents inventeurs (Rutilius, Galba, Antoine, Crassus...), jusqu'à ce qu'elle atteigne la perfection (« Rien n'est en même temps inventé et porté à sa perfection »). Le discours sur les manières de sculpter est-il enfin une imitation de la théorie des styles? Paradoxalement, Cicéron, pour faire l'histoire de la rhétorique, la compare à la sculpture (« Parmi ceux qui ont des regards pour ces moindres œuvres, qui ne comprend pas que les statues de Canachos ont trop de raideur pour imiter la vérité? Que celles de Myron ne sont pas encore arrivées assez près de la vérité, mais qu'elles sont déjà de celles qu'on n'hésite pas à nommer belles? Que les statues de Polyclète sont encore plus belles, et déjà tout à fait parfaites, à ce qu'il me semble du moins »). L'histoire de la sculpture est le modèle même que propose Cicéron pour éclairer celle de la rhétorique (« Et si cela est admirable, et pourtant vrai, dans ces arts en quelque sorte muets, combien plus doit-on l'admirer dans les discours et le langage ? »). Ce parallèle ouvre ainsi vers une conception plus large du rapport entre rhétorique et sculpture, style et art : un rapport moins fait de transport de l'un vers l'autre que de correspondance entre deux domaines de création. [CM]

Alain MÉROT

«Manières» et «modes» chez André Félibien : les premières approches du «style» de Nicolas Poussin

Ma communication portera sur le huitième Entretien d'André Félibien (1685), entièrement consacré à Nicolas Poussin. Elle voudrait montrer comment ce texte fondamental permet de mieux comprendre l'émergence de la notion de style appliquée à la peinture moderne.
Félibien a utilisé, de façon plus ou moins évidente, les catégories usuelles de la rhétorique classique pour apprécier ce qu'il appelle couramment les manières de Poussin. Il oppose ainsi la concision à l'ornement, la « manière tendre et agréable » des tableaux néo-vénitiens des débuts romains à la « grande manière », noble et austère, qui se renforce vers la fin des années 1630. Mais à ces notions relevant de la poétique, il ajoute de constantes références à l'histoire de la peinture : trois couples de peintres (Raphaël et Titien, le Guide et le Dominiquin, Vouet et Poussin lui-même) lui permettent ainsi de mieux cerner la variété et la perfection du génie de son héros. Il en fait ainsi une personnalité unique, aboutissement de l'histoire de l'art, qui associe et transcende des manières en apparence opposées.
Félibien utilise aussi une notion que Poussin a lui-même présentée et développée dans ses lettres, celle de mode, empruntée à la théorie musicale de l'Antiquité. En rassemblant les trois parties traditionnelles de la peinture (invention, disposition, élocution) dans la perspective de l'« effet » produit par le tableau sur le spectateur, le mode fournit à celui qui entend écrire sur la peinture de nouveaux éléments d'appréciation, même si ce registre théoriquement étendu de nuances repose toujours, en fait, sur l'opposition binaire du doux et du dur, du voluptueux et de l'héroïque. Le mode permet à Félibien d'affirmer que le peintre ne « s'est attaché à aucune manière » (le terme, cette fois-ci, est à prendre au sens péjoratif). Il lui sert aussi à démontrer, en réponse à des auteurs, comme Bellori (1672), qui mettaient l'accent sur l'invention poétique, que Poussin est d'abord un peintre et que c'est sur l'élaboration de la forme qu'il faut insister.
Désireux d'échapper aux discours spécialisés et de s'adresser à l'« honnête homme », Félibien a utilisé le vocabulaire et l'équipement conceptuel dont il disposait, tout en les pliant à ses besoins : traitant des « arts du dessin », non de poésie ou d'éloquence, il a su mêler les éléments d'une histoire de la peinture (dont Poussin constitue l'aboutissement) à une véritable théorie de l'art. La forme souple et « moyenne » de l' « entretien », incluant digressions et descriptions, évite la monotonie du pur récit historique comme celui du traité dogmatique et donne, pour l'époque, l'analyse la plus complète et la plus vivante de ce que nous appelons le style d'un artiste. [AM]

Théodora PSYCHOYOU

« Et il en est en cela de la musique comme de l'éloquence » : statut du style dans la Lettre de M. Le Gallois... touchant la musique (Paris, 1680)

Les termes employés par les théoriciens de la musique français pour identifier des styles musicaux évoluent considérablement au cours du xviie siècle. A défaut d'un discours apte à rendre compte de façon satisfaisante des traits essentiels de différents styles en musique, les auteurs s'appuient des modèles de musiciens, dont le nom incarne une façon de faire et un contenu : l'évocation de la « manière » d'un compositeur ou maître de musique vient incarner une façon de faire la musique, et l'ensemble de canons qui y participent. Vers la fin du siècle, le "génie" musical ne saurait être réduit à la seule évocation d'un nom, ni à l'évocation d'un seul nom. Depuis la "manière" du musicien jusqu'à une typologie de styles on assiste à une désincarnation graduelle des modèles. La Lettre de M. Le Gallois... touchant la musique, publiée en 1680, exprime une articulation intéressante de ce processus. Par-delà les tentatives taxinomiques ou des querelles de hiérarchie des goûts, Le Gallois fonde son raisonnement sur une comparaison entre les différentes façons de composer la musique et les styles dans le discours : comme la rhétorique admet plusieurs modèles de styles, de même la musique connaît-elle des styles différents. Si certains peuvent être perçus comme meilleurs que d'autres, voire comme excellents, le discours de Le Gallois reste toutefois très nuancé quant à une hiérarchisation systématique qui identifierait tel ou tel autre style musical comme se situant au sommet et l'emportant sur tous les autres : il appuie sa démonstration sur l'exemple du clavecin, en discutant les styles diamétralement opposés des deux maîtres incontestables que sont Jacques Champion de Chambonnières et Louis Couperin. Au-delà l'appropriation du modèle de la rhétorique, le but du discours de Le Gallois est de montrer comment et dans quelle mesure « on peut plaire, & même exceller dans la musique par des manieres differentes de joüer & de composer ». [TP]

Caroline VAN ECK

Enargeia and living presence in works of art : from the perspective of styles

Dans l'ekphrasis classique, s'écrier que des peintures ou des statues sont tellement semblables au vif qu'elles sont vivantes est un topos; dans la rhétorique classique l'enargeia, la description ou la figure de style qui est tellement vive qu'elle met la scène que l'orateur décrit devant les yeux du spectateur comme s'il voit au lieu d'écouter, est une des stratégies majeures de persuasion. Parfois les spectateurs pouvaient êtres transportés par l'enargeia et commençaient à traiter des statues comme un être vivant. Déclarer qu'une œuvre d'art était tellement vive, tellement semblable à la vie qu'elle semble respirer, était une manière de réagir parfaitement convenable jusqu'aux années 1750. Mais avec la démise du paradigme classique de la mimésis et le développement de l'esthétique Kantienne, l'enargeia a perdu son rôle central dans la réflexion sur la living presence response.
Néanmoins la présence vive des œuvres d'art est au cœur de recherches récentes, avec la parution des études de Freedberg, Didi-Huberman et Belting. En 1998, l'anthropologue britannique Alfred Gell publia Art and Agency. Dans ce livre laissé incomplet, il donnait l'esquisse d'une théorie anthropologique des façons dont une œuvre d'art peut agir sur ses spectateurs qui a des ressembances surprenantes avec la rhétorique classique, en particulier celle d'Aristote. On a souvent noté que Gell a donné une explication générale de l'agency, mais n'a pas précisé en quoi réside l'agency spécifique des œuvres d'art. Dans ma communication je voudrais montrer comment la théorie rhétorique du style, et en particulier les façons dont Aristote et Quintilien ont pensé l'enargeia comme un effet vivifiant de l'oraison ou l'œuvre d'art, pourra nous aider à comprendre la présence vive des œuvres d'art. [CVE]

Claude POUZADOUX

Des héros ordinaires : de la banalisation à la resémantisation du mythe dans la céramique apulienne

La multiplication des représentations figurées sur les vases apuliens de la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. a notamment pour effet d'entraîner une banalisation du mythe. La réduction des éléments narratifs par l'utilisation de schémas empruntés aux scènes génériques de visite à la tombe pour mettre en scène des héros tels qu'Achille ou Hélène semble à première vue réduire ces situations singulières à des scènes ordinaires. Plutôt que de renvoyer dos à dos l'héroïsation du quotidien et la généralisation du mythe, nous chercherons à préciser le statut et les enjeux de ce nouveau registre dans la réception du mythe dans un contexte de profonds changements culturels. [CP]

Renaud ROBERT

Pêcheurs et paysans en Gaule romaine : réflexions sur le remploi d'un type statuaire

La communication portera sur les statues et les reliefs représentant des personnages «humbles», vieillards, pêcheurs, bergers etc., dont les originaux ont traditionnellement été assignés à des ateliers alexandrins de l'époque hellénistique. Les historiens de l'art ont longtemps considéré que ces œuvres procédaient de la sculpture de «genre» et traduisaient le regard qu'une société de cour portait sur les couches les plus humbles de la population. Ces œuvres ont généralement été rapprochées des Mimes d'Hérodas, des Idylles de Théocrite ou de certains textes de l'Anthologie Grecque. Elles pourraient constituer une sorte de contre-modèle, opposé en miroir aux valeurs de la société raffinée de la cour alexandrine. Des travaux récents ont insisté sur le fait que certains de ces personnages paraissaient liés au monde dionysiaque et, de manière générale, devaient être mis en rapport avec des formes de ritualité plus ou moins imaginaires. Dans ces conditions, l'association de ces œuvres à une hiérarchie esthétique des « genres » paraît moins évidente. Nous nous interrogerons tout particulièrement sur la présence massive de ces statues en Gaule à l'époque romaine. Quel sens accorder au « remploi » de ces œuvres dans un contexte socio-culturel très différent de celui dans lequel les modèles ont été créés? [RR]

Benjamin ACOSTA-HUGHES

In Helen's Image : Visualizing A Queen

L'un des défis rencontrés par les artistes (poètes, sculpteurs et tailleurs de gemmes) de l'Alexandrie du début du IIIe siècle et qui allait donner lieu à nombre d'innovations poétiques et artistiques n'était autre que celui qui consiste à célébrer une femme de pouvoir. L'Égypte pouvait bien sûr procurer des modèles lointains comme celui de Nefertari, mais les artistes issus de la culture grecque disposaient de bien peu de précédents exploitables. Que Périclès ait enjoint aux veuves des hommes morts au combat de rester dans l'anonymat n'a guère encouragé le développement d'une tradition d'encomia destinés à célébrer des femmes. Il faut aussi souligner que les statues héroïques destinées à honorer des hommes célèbres - athlètes, hommes politiques et poètes - n'avaient pas de pendant pour la gent féminine. Pourtant, l'une des réalités sociales qui se font jour après la mort d'Alexandre et peut-être même plus tôt est bien l'émergence de plusieurs femmes issues de la noblesse macédonienne qui accèderont au pouvoir, en particulier dans les parties orientales du bassin méditerranéen. Plusieurs de ces femmes ambitieuses et puissantes vont d'ailleurs infléchir profondément le cours de l'histoire dans les différents royaumes hellénistiques. L'un des exemples les plus remarquables est celui d'Arsinoé II, sœur et épouse de Ptolémée II Philadelphe : les témoignages, malheureusement lacunaires et discontinus, que nous possédons sur cette reine se composent de portraits qui la représentent dans ses rôles de reine, de déesse et d'épouse du nouveau pharaon, et ce sur des supports extrêmement variés : sculptures en marbre, intailles, fragments de poèmes préservés grâce à des papyrus. Pour représenter de manière adéquate une reine révérée et vénérée comme une déesse, ces portraits réactivent des traditions plus anciennes : représentations d'Aphrodite, mythes associés à la figure d'Hélène, imagerie érotique empruntée aux partheneia (hymnes chantés par les vierges en l'honneur de certaines divinités). L'objet de cette présentation sera de reconstituer quelques étapes clés de l'élaboration de ces représentations de la reine, en accordant notamment une attention particulière à un moment particulièrement important de l'histoire d'Arsinoé II, moment sur lequel la documentation demeure pour nous en grande partie insaisissable: son mariage avec son frère Ptolémée II. [BAH]

Jan BLANC

Les «Grands Styles» de Sir Joshua Reynolds

Utilisée pour la première fois en 1752, à propos d'un paysage de Nicolas Poussin, vu au palais Verospi, à Rome, et, à une ultime reprise, le 19 avril 1791, dans une lettre adressée à William Gilpin, au sujet de la beauté « pittoresque », la notion de «grand style» (Grand Style) a constitué l'un des principaux leitmotivs des théories artistiques du peintre britannique Sir Joshua Reynolds, les orientant souvent vers une promotion, au moins apparente, de la peinture d'histoire et des modèles italiens de la Renaissance. En restituant les origines et les conditions de genèse de ce concept, mais aussi ses différents usages, pendant près de quarante ans d'une carrière complexe et versatile, cette contribution propose d'en mesurer (et d'en relativiser) la cohérence, en rendant compte du rôle stratégique qu'il a joué dans les débats artistiques, sociaux et institutionnels qui ont agité l'Angleterre de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. [JB]

Aline MAGNIEN

Rodin et la question du style : éclectisme et permanences

Rodin a puisé au cours de sa vie d'artiste à des sources différentes. On connaît son goût pour le XVIIIe siècle, sa passion pour l'antique, le gothique ou pour le siècle de Michel Ange ; on sait moins son intérêt pour l'art statuaire du Bernin ou de Puget, et pour les tableaux de Rubens et de Rembrandt. De tous ces styles qu'il commente dans ses Carnets, dans ses entretiens ou plus directement à travers son oeuvre, il fait son miel mais dégage des principes fondamentaux, en homme soucieux de cohérence et de permanence, voire d'universalisme. Cette communication s'attachera à étudier notamment la relecture que Rodin propose de la grande statuaire française des XVIIe et XVIIIe siècles, qu'il lit comme « décorative. » [AM]

Graham ZANKER

Hellenistic Theory of Poetic Genre-Crossing : An Analogy for Interpreting Hellenistic Art?

In the art history of the Hellenistic period scholars have often thought in binaries, like Atticism vs. Asianism, and these binaries are commonly based on ancient rhetorical taxonomies of style. However, such binaries do scant justice to the range of Hellenistic art: they tend to overlook the achievements of Hellenistic Kleinkunst, like the Slipper-Slapper group from the guild of the Poseidoniasts of Delos, and objects of art in which elements of style and content appropriate to two genres are crossed to create something new in ethos and tone, as with the Munich Glyptothek's Drunken Old Woman. Professor Zanker argues that in fact the taxonomies developed in the ancient criticism of poetry shed a more comprehensive light on the styles of Hellenistic art. In particular, Aristotle's three categories of subject-matter in the Poetics, comprising hoi spoudaioi, hoi cheirones and hoi phauloi, underlie his analogy from painting to describe the subject-matter of comedy and tragedy at Poetics 48a 1-6, and is clearly much closer to the way the ancient and specifically Hellenistic artists thought about their work than the modern binaries. [GZ]

Kathryn GUTZWILLER

Contests of Style and Uses of the Middle in Canon Making

One of the important developments in critical thinking about art and literature was the concept of a middle style, often presented as a mixture of grand and plain styles. The idea of two styles dominated critical thinking about literature and art in the classical period; the middle style begins to gain importance from the late fourth century onwards, likely under Peripatetic influence. This paper will consider, through select examples, the rhetorical use of the middle in literature and, to the degree possible, in art. My central argument is that the middle concept disrupted the intense rivalries created around a system of two oppositional styles and became an essential strategic tool for creating widely accepted canons within types or genres of literature and art.
Through discussion of Aristophanes' Frogs, the Certamen of Homer and Hesiod, the theories of the painters Nicias and Pausias, and the poetry of Callimachus, it will be shown that the period from the fifth century through the early Hellenistic was characterized, despite the existence of a middle concept, by a dichotomy of high and low styles. The oppositional nature of these two styles led to entrenched opinions about their relative worth and strong rivalries among practitioners. These rivalries manifest themselves in the form of contests or challenges involving poets or artists. Beginning in the fourth century and developing throughout the Hellenistic period, the middle style became more consistently a part of theoretical analyses, as in Theophrastus and Demetrius, and as a result had the effect of softening these oppositions, sometimes through alliance to support one or the other and sometimes to offer a distinct alternative. Often presented as a mean between two extremes, the middle style, which was at times split into various middle styles, presents the persistent characteristics of mixture and in-betweenness. This is evident not just in surviving treatises such as Demetrius' On Style but also in a fragmentary discussion of three categories of poems by a critic of uncertain identity known from Philodemus' On Poems and in anecdotes about Apelles' use of mixed colors.
The construction of a middle style by defining its relationship to two other styles becomes by the late Hellenistic period a standard means of claiming a top rank for a favored writer or artist. An excellent example is Dionysius of Halicarnassus' construction of a "well-blended" style that stands between the grand and polished styles, and his placement of the best author in every genre in this category of "well-blended". Finally, it will be shown that the ultimate utility of the middle concept, as a mixture of styles, was to elevate a very select few to the category of best of best. Examples include the common ancient opinion that Homer was the best of poets because of his ability to mix styles within each and every passage, Cicero's description of the ideal orator and Quintilian's praise of Cicero through analogy with the painter Euphranor, and the claim that Vergil's preeminence in Latin poetry is demonstrated by his use of the three styles in his three major poems. [KG]

Évelyne PRIOUX

Ἰδέαι μὲν οὖν (...) μυρίαι: les Images de Philostrate comme images du style?

Cette communication propose de lire certains motifs des Eikones de Philostrate l'Ancien comme des illustrations des théories portant sur le style intermédiaire. On cherche ainsi à préciser le rôle joué par cet auteur dans l'application à la peinture de notions empruntées à la rhétorique et à la stylistique. L'hypothèse qui est ainsi proposée est que certaines des compositions picturales décrites dans les Eikones constitueraient des allégories esthétiques et stylistiques.
Par exemple, le tableau II, 8 représente les amours du dieu-fleuve Mélès et la nymphe Crithéis qui passaient pour être les parents d'Homère. Cette description présente des aspects quelque peu étonnants: le dieu-fleuve Mélès y est présenté comme un léger cours d'eau callimachéen, un jeune homme, aimant la fleur d'hyacinthe «symbole de jeunesse», montrant «les grâces tendres de l'adolescence, non sans un mélange de gravité». À l'initiale de la description, Philostrate rappelle qu'Homère a pour sa part chanté les amours de Tyro et de l'Énipée (Odyssée IX, 235-259), invitant ainsi son lecteur à comparer sa propre description à celle d'Homère où Poséidon prend la place du dieu fleuve pour s'unir à Tyro et dans laquelle «le flot en bouillonnant se dressa tel une montagne». Par contraste, les amours des parents d'Homère sont placées sous le signe de la leptotès. Le procédé consistant à juxtaposer la mention d'un épisode traité par Homère avec celle du sujet que l'ecphrasis s'apprête à aborder est récurrent dans les Eikones.
Plusieurs descriptions jouent ainsi sur les différences radicales entre le récit épique et le caractère enfantin, humble, charmant ou bucolique de l'épisode représenté dans la peinture. Un exemple particulièrement significatif nous est fourni par la description intitulée «Les Toiles», ecphrasis dont la valeur métalittéraire est patente et qui s'ouvre sur l'évocation fantasmée d'un tableau représentant Pénélope en fileuse. À cette première image, le rhéteur oppose le sujet du tableau que les jeunes gens ont sous les yeux, un sujet d'abord incompréhensible, fait de fines cordes et de nœuds, et qui s'avère être une pauvre masure abandonnée encombrée de toiles d'araignées. Les araignées y tissent des toiles d'une finesse callimachéenne et dont le rhéteur loue le rendu réaliste et miniaturiste dans la peinture. Or, l'araignée est expressément présentée comme étant une « meilleure ouvrière que Pénélope elle-même ». Aux homérismes et citations d'Homère qui ornent la description de Pénélope succède, de manière significative, une citation d'Hésiode dans la description des toiles d'araignées. Enfin, la description se clôt sur une image de combat décalée dans l'univers miniature des insectes avec l'évocation de l'agonie des mouches au sein de la toile.
L'opposition entre un sujet épique et un sujet plus léger est également exploitée dans l'ecphrasis II, 2 qui, loin du héros de l'Iliade «rugissant de douleur sur le corps de Patrocle», nous dépeint un Achille enfant «qui se nourrit encore de lait, de moelle et de miel ».Ainsi, le Polyphème amoureux de II, 18, mélange de tendresse et d'expression sauvage, qui élève des oursons pour Galatée et qui n'est pas encore «le monstre qui dévore les hommes comme un lion féroce».
À ces images de la jeunesse des personnages d'Homère, s'ajoutent le tableau, déjà mentionné, qui représente les parents d'Homère (II, 8), ainsi que celui consacré à l'enfance de Pindare (II, 12). La comparaison avec les jugements de Denys sur le style d'Homère et de Pindare est particulièrement significative. On sait en effet que, dans la représentation de Denys, Pindare passe pour être le principal exposant de l'harmonie austère et qu'Homère est le maître du style intermédiaire, excellant à la fois dans la leptotès et la semnotès. Dans l'image que Philostrate donne de Pindare, le poète est associé à la notion d'atticisme puisqu'il boit le miel des abeilles de l'Attique (« le miel qu'elles distillent sur la bouche du poète se sentira de cette origine »). Ce détail qui pourrait paraître insignifiant ne l'est probablement pas, car Philostrate insiste fortement sur la notion d'atticisme pour décrire l'attitude de Dédale dans l'ecphrasis centrale du livre I des Eikones. Certes, Dédale est d'origine athénienne, mais on demeure frappé du poids que Philostrate donne à ce détail : «Quand à Dédale, il est attique par son apparence, car son regard est supérieurement sage, pour ainsi dire, et réfléchi, il est attique aussi par son maintien même, car non seulement il est enveloppé dans un manteau brun, mais il est représenté pieds nus ; chez les Athéniens, cette simplicité est une parure». Il me semble que ces différents éléments nous permettent de faire l'hypothèse selon laquelle Philostrate jouerait ici sur la théorie des styles poétiques et sur l'opposition entre grand style et style ténu, mais aussi sur les notions rhétoriques d'asianisme et d'atticisme. Sa représentation des parents d'Homère et de l'enfance de Pindare permet de souligner ce que ces deux auteurs doivent à la leptotès. Elle vise peut-être aussi à louer une forme de style intermédiaire, entre grandeur et subtilité, un style hybride qui ne serait pas pour déplaire à l'auteur des «Centauresses» de l'ecphrasis II, 3. [ÉP]

Pascale LINANT DE BELLEFONDS

Entre Champêtre et Héroïque: couples de Centaures dans la sculpture d'Aphrodisias de Carie

Les ateliers de sculpture de la cité grecque d'Aphrodisias de Carie ont perpétué, à l'époque impériale, la tradition hellénistique à travers un large éventail de productions destinées, tant au marché local, qu'à de prestigieux mécènes romains. À partir de la thématique des Centaures, mise en œuvre dans une frise découverte sur le site ainsi que dans le célèbre groupe en ronde bosse de la Villa d'Hadrien, cette communication s'attachera à mettre en évidence la coexistence de styles divers, voire contrastés, au sein d'un même ensemble sculpté et à montrer que cette diversité de styles allait probablement de pair avec la diversité des émotions et des sujets représentés. Par leur nature hybride, les Centaures se prêtaient particulièrement bien à ce que l'on pourrait presque qualifier d' «exercices de style». [PLB]

Daniela GALLO

Les antiquaires italiens du XVIIIe siecle à l'épreuve du style

L'étude entend aborder la lecture que les antiquaires romano-florentins du XVIIIe siècle font des œuvres d'art antique. Leurs analyses stylistiques seront évaluées en tenant compte aussi bien de leur propre formation et de leurs histoires personnelles, que du goût contemporain en sculpture, ce dernier considéré tant du point de vue de la création que du marché. Le rôle d'Ennio Quirino Visconti, dont les écrits principaux dans le domaine de la sculpture antique s'étalent des années 1780 à 1810 environ, sera plus particulièrement analysé. [DG]

Nolvenn BÉCEL

La réception de l'art romain au musée du Louvre d'E. Q. Visconti à J. Charbonneaux

«Il n'y a pas de style romain» affirme Winckelmann dans la Geschichte der Kunst des Alterthums. Les historiens de l'art ont souvent nié aux artistes romains tout génie d'inventivité, les comparant dans une dialectique historique à leurs géniaux prédécesseurs grecs. Au début du XIXe siècle, les Antiquaires, à l'image d'E. Q. Visconti, premier conservateur des Antiques du musée du Louvre, ne semblaient pourtant pas opposer les œuvres romaines aux œuvres grecques: les sculptures étaient généralement incluses dans le même ensemble culturel, sous le même terme d'«antiques». Parallèlement à l'essor de l'étude des œuvres antiques, les discours des historiens de l'art ont fait émerger peu à peu une classification stylistique des œuvres, un langage descriptif des formes et un jugement marqué par la conception historique et politique théorisée par Winckelmann. Evaluant les œuvres romaines en fonction des styles historiques identifiés de l'art grec, les historiens ont alors créé le concept d'«éclectisme», ce terme désignant le mélange des styles, tel qu'il fut perçu dans les formes de l'art romain. La prépondérance de la question du style sur toute autre forme de grille d'interprétation esthétique a marqué pour longtemps le regard des historiens de l'art. Les recherches récentes de Tonio Hölscher sur la sémantique des images dans l'art romain offrent un cadre d'analyse novateur qui remet en question le regard porté sur cet éclectisme romain. Le musée du Louvre, institution culturelle qui s'est développée en même temps que l'histoire de l'art, est un lieu propice pour étudier cette évolution du regard pendant près d'un siècle et demi. La muséographie et les écrits descriptifs des œuvres telles que la Pallas de Velletri, la statue dite Melpomène, le Tibre, le Galate blessé, les reliefs dits de Domitius Ahenobarbus, et le buste de Septime Sévère provenant de Gabies nous permettent d'appréhender cette intelligence du regard. Les évolutions que les écrits sur les œuvres traduisent nous permettent de mettre en lumière la marginalisation progressive des œuvres romaines au sein du musée du Louvre dans le courant du XXe siècle. Alors souvent réduits à de simples témoignages sur un art grec devenu insaisissable, les chefs-d'œuvre romains furent en effet peu à peu exclus de l'art romain et servirent à illustrer un discours contemporain sur les styles de l'art grec. [NB]

Pascal GRIENER

Le « moment allemand » dans l'Angleterre victorienne : Charles Lock Eastlake, Anthony Rich, Ralph Nicolson Wornum et l'interprétation allemande du style dans les arts visuels (1840-1870)

Ma contribution s'inscrit dans un vaste projet qui porte sur une histoire européenne de la perception de l'œuvre d'art aux XVIIIe et XIXe siècles, à l'avènement graduel mais irréversible de ce que j'appelle un regard démocratique. Ce regard n'est pas unidirectionnel ; il est le fait d'individus d'origine diverse, tant sociale que géographique, et à la culture visuelle souvent contrastée. Tous ces individus cependant subissent l'ascendant d'une entrée de l'art dans la culture de masse. Cette entrée est documentée par une prise de conscience de l'impact collectif de l'art. Elle laisse même sa marque sur les objets de l'art, constamment retransformés pour mieux correspondre à l'attente du regard qui se porte sur eux. Cette histoire est donc une histoire dialectique, qui montre comment l'attention aux objets les transforme jusqu'en leur matérialité, jusqu'à affecter, à leur tour, les discours qui portent sur les œuvres transfigurées. La première partie de cette étude, La Révolution du regard, porte sur le XVIIIe siècle ; elle vient d'être achevée. La deuxième étape, l'ère industrielle, marque la naissance de musées dont la destination sociale et le message pédagogique sont beaucoup plus ciblés qu'au siècle des Lumières. En Angleterre, le musée public d'art s'adresse à des classes sociales précises; il constitue le lieu d'un rendez-vous sans cesse programmé, mais sans cesse manqué entre les classes sociales. L'histoire de l'art anglaise comprend immédiatement que pour faciliter ce rendez-vous et s'adresser au grand nombre, elle doit reformuler ses matériaux théoriques et historiques. Les échanges entre les pays germaniques et l'Angleterre, aujourd'hui méconnus, serviront cette cause avec bonheur. De Charles Lock Eastlake à Anthony Rich, en passant par Ralph Nicolson Wornum, un discours nouveau sur l'art émerge, d'inspiration germanique; les catégories de style y jouent un rôle nouveau, instrumental. Le caractère révolutionnaire des publications largement diffusées, imprimées à coût réduit, reste aujourd'hui mal compris. Seule une analyse globale de ces productions, dans leur matérialité (illustrations, séquence, etc.), dans leur ambition conceptuelle, mais surtout dans leur caractère instrumental, rendra justice à la deuxième révolution du regard qui émerge en Angleterre. [PG]

Conclusions du colloque

 
Visions de l'archaïsme Lycophron et les images Mythe et Pouvoir Douris de Samos Retour à l'accueil
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